#ManhattanSpark1924

New York

Twitter : les dépêches quotidiennes du Manhattan Spark

Souvent, en lisant des journaux d’époque, je tombe sur un article surprenant ou amusant. Mon premier réflexe consiste en général à me tourner vers un proche pour partager ma découverte. Bien entendu, il n’y a rien d’extraordinaire là-dedans : une anecdote sur New York par-ci, un cliché sur la société confirmé ou démenti par-là. Mais c’est ainsi qu’est née l’idée de #ManhattanSpark1924. Utiliser Twitter, et mettre à profit les recherches effectuées pour le futur jeu de rôle éponyme, afin de diffuser ces fragments d’un autre temps sous forme de dépêches imaginaires.


De quoi s’agit il ?

Il s’agit donc d’un ou deux tweets quotidiens publiés par le Manhattan Spark, un journal imaginaire de 1924. Chaque jour, une journaliste tout aussi imaginaire partage une nouvelle qui animait les conversations des New-Yorkais ce jour-là.

L’ambition n’est pas ici de relever les faits dont les conséquences se sont avérées les plus marquantes, ni même de décrire la réalité. Au contraire, c’est l’authenticité d’une parole subjective et parfois encore mal renseignée, celle des rédacteurs de l’époque, qui m’intéresse. L’information n’est pas passée au filtre de la vérification et de l’analyse historique, mais vise à replacer le lecteur dans la position de ceux de 1924. Il arrive, bien entendu, que les journalistes se trompent, se laissent manipuler ou forcent eux-mêmes le trait.

Qui plus est, d’un siècle à l’autre, on ne s’attarde pas sur la même chose. Les stars de 1924 ne sont pas forcément celles que la postérité a retenues, et les évènements qui marqueront peuvent demeurer dans l’anonymat alors que tout le monde se passionne pour quelqu’un ou quelque chose de totalement oublié aujourd’hui.

Un quotidien

Par ailleurs, le sujet principal reste le quotidien des New-Yorkais. Le plan Dawes ou le procès d’Hitler nous fascinent un siècle plus tard ; et je peux, à l’occasion, céder à la tentation de l’actualité internationale. Mais que ce soit les aventures de la mystérieuse garçonne qui multiplie les braquages à Brooklyn, ou l’arrivée en ville de Mary Pickford et Douglas Fairbanks, le Manhattan Spark fournit avant tout matière à discussion pour la salle de pause ou le speakeasy.

Il ne s’agit pas pour autant de fiction. Je n’invente pas ces informations, elles sont bien réelles. Si les faits s’avéreront parfois erronés, c’est toutefois ainsi qu’ils ont été présentés au public de l’époque (quoique je raccourcisse de temps en temps les citations).

Le #ManhattanSpark1924 s’adresse donc à tout le monde et se veut une description, par petites touches, de l’air du temps. D’un point de vue pratique, pour les rôlistes, ce sont autant d’inspirations, de PNJ, d’évènements ou de lieux.


Les limites

Bien entendu, l’exercice a ses limites. Il m’apparait parfois nécessaire de faire des entorses à la retranscription fidèle de l’époque. Les articles de 1924 renferment bien des préjugés qu’il est atroce de reproduire si l’on n’a pas la place de les contextualiser. Or la contrainte du format Twitter, si elle s’avère intéressante pour d’autres raisons, rend difficiles les nuances. Et dans le cas présent, elle ne permet pas de rappeler que l’information présentée ne reflète pas mes opinions.

Prenons un exemple concret. Le 16 mars 1924, un mouvement de protestation s’élève dans le quartier de Flatbush contre l’installation de Mme Greenlee et sa famille dans la superbe demeure qu’elle vient d’acquérir. Elle est fortunée, cultivée, et l’achat a eu lieu en bonne et due forme (pour 19 000 $). La seule raison de l’agitation des associations de quartier c’est, alors que la race est encore considérée comme une vérité scientifique, le ségrégationnisme de Blancs outrés à l’idée d’accueillir un foyer de Noirs parmi eux. Et ça semble aller quasi de soi. Tout le monde ne partage pas le mécontentement des voisins, mais il est présenté comme légitime et inévitable.
J’ai renoncé à publier cette information qui, pourtant, dit beaucoup de l’époque. Il est très difficile, dans ce format, de témoigner du racisme omniprésent sans produire soi-même un tweet raciste. Ce jour-là, je n’ai pas trouvé de formule pour que le message se montre à la fois clair et sans ambigüité sur mon propre point de vue. On ne peut pas toujours s’en remettre à une apparente objectivité journalistique en espérant ne pas être lu au premier degré.

Bien sûr, on peut aussi changer d’angle. Plus inspiré sur ce même exemple, j’aurais pu partir de la réaction de Mme Greenlee. Elle proposait, en se moquant de ses détracteurs, de leur revendre sa nouvelle maison au double du prix qu’elle avait payé. Ou l’on peut, simplement, sacrifier à la reconstitution historique et écrire à la façon d’aujourd’hui.

S’extraire des préjugés et changer d’approche par rapport aux sources demande de l’énergie et du recul, tout en perdant de l’authenticité. Mais, encore une fois, cette dernière ne peut pas servir d’excuse pour publier soi-même des messages ambigus. D’ailleurs, si ma vigilance ne s’avère pas suffisante, je vous invite à me le signaler. Que ce soit parce que je me laisse enfermer dans le style d’origine, ou que mes propres œillères m’aveuglent, j’aime autant le savoir, retirer un tweet mal écrit, et connaître ce sur quoi faire plus attention dans les suivants.

Notez également que, si je peux soigner la forme, mes sources induisent quand même des biais de représentation. Les journaux de l’époque s’adressent à tous. Une part bien plus grande de la population les lit. Mais ils conservent néanmoins le point de vue très subjectif de ceux qui les rédigent et les publient. En d’autres termes, ils nous parlent surtout du monde vu par des hommes privilégiés.

Ce n’est évidemment pas le reflet de la société new-yorkaise qui se montre, au contraire, d’une extraordinaire diversité. Harlem affiche une véritable effervescence créative, voire économique. Mais, comme dans l’exemple de Mme Greenlee, les journaux ne s’intéressent à ceux qu’ils considèrent comme des Noirs quasi que dans leur rapport aux Blancs. L’altérité semble d’ailleurs fondamentale aux yeux des rédacteurs. Dans un article, on ne désignera jamais quelqu’un perçu comme un Blanc, alors que ce sera systématiquement signalé si ce n’est pas le cas.
De la même façon, les femmes sont déjà présentes dans tous les domaines professionnels et ont le droit de vote depuis sept ans dans l’état de New York. Lors de la convention nationale du parti républicain, la parité est appliquée. Mais, dans la presse, on continue de les désigner par le prénom et le nom de leur mari et de les définir avant tout par leur physique.
Sans parler du silence assourdissant sur tout ce qui pourrait s’éloigner du modèle traditionnel de la famille.

Pour mieux connaître les informations qui impliquent ceux que le temps et les préjugés ont écartés, j’aurais donc besoin de sources plus variées. J’imagine que le Negro World, par exemple, apporterait un éclairage différent. Malheureusement, je suis limité pour l’instant aux versions numérisées accessibles gratuitement.


Les sources

Enfin, toujours pour des questions de place, j’ai fait le choix (discutable, je le reconnais) de ne pas citer les sources dans chaque message. Je les recense ici en espérant que ça suffise à exprimer mon immense gratitude à ceux qui nous permettent d’accéder à ces précieuses archives.

#ManhattanSpark1924 est ainsi alimenté par le travail des journalistes et photographes de :